La chute de la Metche se trouve à quelques kilomètres de Bafoussam (Ouest du Cameroun), dans le pays Bamiléké.
Un journaliste du quotidien national Le Messager m'a montré l'endroit. Au départ, j'étais venu le rencontrer pour l'affaire des listes d'homosexuels présumés
publiées dans les journaux (voir Articles "L'homosexualité : un délit puni par la loi). Il m'en a parlé,
longuement, puis il me propose de l'accompagner à une réunion pour la construction d'une bibliothèque dans une ville voisine. Je décide de le suivre. Sur la route, le soleil inonde le paysage. Il
y a une trentaine de kilomètres à parcourir. A un moment, un panneau attire mon attention "Chute de la Metche". Je lui demande ce que c'est. Aussitôt, mon chauffeur du jour fait demi-tour et
s'arrête sur le bas-côté à hauteur de ce panneau :
A droite de la route, un chemin nous y amène :
RETOUR PLUS DE 40 ANS EN ARRIERE
Chute de la Metche : Pour les étrangers, c'est un lieu touristique.
Mais pour les Camerounais, c'est un des haut-lieu
bamiléké de mémoire des massacres perpétrés pendant la décolonisation (année 1950-60).
Aujourd'hui, c'est devenu un lieu de purification. Beaucoup croit en la sorcellerie. Ce sont surtout les femmes qui viennent pour se laver de possibles mauvais sorts jetés sur elle.
Revenons plus de 40 ans en arrière avec Roland Tsapi, journaliste au Messager de Bafoussam.
Un de ses articles, "La Metche : les chutes de la mort" résume bien ce pan de l'histoire.
La Metche : C'est là que, dans les années 1950 et jusqu'en 1963, les opposants à la colonisation étaient exécutés ou plus exactement précipités du haut de la chute sur les rochers en contre-bas. Vous le voyez sur ces images, la mort était inévitable.
Pendant des années, des milliers de Camerounais, avides d'indépendance, furent massacrés en ce lieu. Ils appartenaient à l'UPC, l'Union des Populations du Cameroun. L'UPC a été créée par Ruben Um Nyobé en 1948 pour l'indépendance de son pays. Ses militants avaient à leur tête Ernest Ouandié, qui trouvera la mort dans ce conflit.
On appelle aussi cette période de l'histoire camerounaise "le Maquis", symbole de la rébellion. Personne ne connaît précisément les chiffres des tués pendant cette
période.
Certains parlent de "300 à 400 000 tués", des chiffres qualifiés de "fantaisistes" par les historiens (cf. bibliographie plus bas). D'autres se rapprochent des 40 000. Pour Mongo Beti, célèbre
écrivain camerounais, la fourchette se situe entre 60 000 et 400 000.
Le Cameroun sera officiellement indépendant le 1er janvier 1960.
Les propos du chef de la chefferie de Bamendjou (dont vous pouvez lire une première interview dans l'article sur les chefferies) recoupe ce témoignage de Roland Tsapi. Ce Fô a survécu à ce massacre. Il explique qu'un jour, un des militants s'est accroché à la ceinture de son bourreau et l'a entraîné dans sa chute. Depuis lors, ces exactions se sont arrêtées car la vie de ces bourreaux étaient mises en danger.
Le chef de Bamendjou aura donc la vie sauve, il témoigne aujourd'hui
:
Vous avez fêté vos 50 ans de règne (sur la chefferie) il y a trois ans, qu’avez vous traversé pendant tout ce temps ?
Là c’est une histoire très longue parce que … à la veille de l’indépendance j’ai été beaucoup malmené a cause de mes opinions de mamanière de prendre position face à l’administration coloniale ce qui m’a valu 2 ans de résidence surveillé puis j'ai été interné dans beaucoup de prison de la République a cause de ma manière d’agir et de concevoir les choses. J’ai effectivement beaucoup souffert, beaucoup de mes amis sont morts. Dieu merci, je vis !
Qu’est ce qui gênait dans vos propos ?
L’administration coloniale voyait en moi un révolutionnaire. Mes propos ne correspondaient pas aux souhaits de l’administration coloniale. Quand il m’arrivait par exemple, devant un chef de subdivision, ou un chef de région, ou un commandant de brigade ou un capitaine de ceci cela, de lui dire ouvertement que malgré mon âge le Cameroun sera libre tôt ou tard, ça ne faisait pas plaisir.
Quels ont été les effets de la colonisation sur votre chefferie ?
On me considère toujours comme un révolutionnaire. Quand vous me parlez des effets de la colonisation, je peux dire qu’ils ont été très négatifs. C’est mon constat
parce que j’y suis depuis 1953 jusqu’à nos jours.
Négatifs pourquoi ? Parce que ce qu’on attendait n’a pas été fait. Déjà, je n’ai jamais été d’accord sur le mot « colonisation ». Le Cameroun, que ce soit sous protectorat allemand ou sous
tutelle française, a été sous tutelle et non colonisé. Le Cameroun jusqu’à présent souffre parce que les pays colonisateurs ont voulu asseoir leur autorité c’est-à-dire qu’ils ont plutôt choisi
de gérer leurs intérêts au lieu de développer le Cameroun.
Il y a encore beaucoup de zones d'ombres au sujet de cette décolonisation, que je ne suis pas en mesure d'éclaircir. Pour en savoir plus, voici quelques livres :
- Mongo Beti, Main basse sur le Cameroun. Autopsie d'une décolonisation (1972).
- Max Bardet (avec Nina Thellier), OK Cargo. Grasset (1988). Ce pilote d'hélicoptère français a oeuvré au Cameroun à cette époque.
- Richard A. Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun : les origines sociales de l'UPC (1946-1958). Karthala.
- Stéphane Prévitali, Je me souviens de Ruben. Mon témoignage sur les maquis camerounais (1953-1970). Tropiques (1999).
Aujourd'hui, la chute de la Metche est un lieu de purification. Son eau est utilisée par les femmes surtout, mais pas seulement, pour ses prétendues vertus exorciste : d'après ces visiteurs qui croient en la sorcellerie, cette eau permettrait de conjurer un mauvais sort, de favoriser la fécondité, l'épanouissement personnel... Chaque jour, des dizaines de personnes se rendent à la chute de la Metche.
Il faut alors descendre les escaliers qui partent de la route. Le chemin qui mène à la chute est jalonné de petits tas mystérieux.
Ce sont des mélanges de terre, avec des noix de kola et autres graines, des morceaux de sucre, arrosés d'huile de palm.
Cela crée une atmosphère mystique pour nous mener jusqu'à la chute. Là, le silence est absolument requis. Les hommes et les femmes se préparent à "rencontrer" les esprits.