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Qui raconte?


Fanny Borius, journaliste. Diplômée de l'IUT de journalisme de Bordeaux (2005-2007), aujourd'hui IJBA. 

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28 janvier 2023 6 28 /01 /janvier /2023 07:29
Louise Mekah, en février 2013, à Aulnay-sous-Bois

Louise Mekah, en février 2013, à Aulnay-sous-Bois

Publié sur TV5 Monde, Portail Terriennes, Octobre 2013

 

Aux oreilles de Louise Mekah, les trois syllabes UPC entendues avec insistance à l'occasion des élections législatives de cet automne 2013 au Cameroun, résonnent sûrement d'accents tout à la fois nostalgiques et incertains. Après 35 ans passés en France, la fille de Jacob Fossi, chef de file indépendantiste et cofondateur de l'Union des Populations du Cameroun, tente de faire reconnaître le martyre de son père, une tragédie qui a aussi infléchi sa vie de femme. 

 

A l’orée de la soixantaine, Louise Mekah a trouvé un peu de paix. Cette paix qui lui a manquée pour construire sa vie de femme, parce que la figure paternelle avait été effacée, et avec elle ses années de vie au Cameroun. Pourtant, malgré les privations, son enfance fut heureuse. Avec en filigrane ce manque lancinant : « Mes amis avaient un père qui les regardait. Et moi rien... Heureusement à l’époque toute personne qui avait l’âge de votre père ou mère, vous l’appeliez papa ou maman. Cela m’a fait du bien ». 

Louise Mekah avait deux ans lorsque son père est parti sans retour. Jacob Fossi était l’un des leaders camerounais de la lutte anti-coloniale dans les années 50. Mais du combat de celui-ci, capturé et tué par l’armée coloniale française, elle n’a jamais rien su jusqu’à son cinquantième anniversaire – il ne fallait rien dire aux filles de cette tragédie, ce n’était pas leur affaire. Avec le temps, la langue de ses proches s’est enfin déliée. Pièce après pièce, elle rassemble le puzzle qui lui permet aujourd’hui de comprendre son histoire et celle de son pays. Le témoignage de Louise Mekah, qui a aussi vécu en France pendant plus de 35 ans, est rare. Il raconte une vie de femme brisée puis reconstruite et une guerre anti-coloniale (1948-1960) dont les centaines de milliers de morts restent passées sous silence, au Cameroun comme en France



« Lever les tabous qui existent au Cameroun » 

La première rencontre avec Louise Mekah a lieu en février 2013 chez elle à Aulnay-sous-Bois, dans le local de son association d’aide aux personnes en difficulté sociale (« FEMRU » aujourd’hui disparue pour cause de manque de subventions). Louise est à son bureau et s’affaire autour de l’écriture de ses mémoires. A 60 ans, elle a tant à raconter : « Je veux lever les tabous qui existent au Cameroun », explique-t-elle. « Je veux que les gens parlent. Je vais m’atteler à raconter mon histoire, et celle de mon pays, dans les écoles du Cameroun, dès l’année prochaine ». 

 

Louise Mekah est née à Bafoussam (grande ville de l’Ouest du pays) le 7 décembre 1953. La guerre d’indépendance fait rage, en particulier dans cette région des Bamiléké. En juin 1956, son père, Jacob Fossi, l’un des leaders de l’UPC – l’Union des Populations du Cameroun interdite et à la pointe du combat anti-colonial -, est arrêté par l’armée française. Un an après cette interpellation, les pieds et les poings liés, il est conduit en haut de la chute de la rivière Metche par les soldats français. En contrebas, les rochers ne laissent aucun espoir à ceux qui y sont poussés. La légende de l’un des premiers martyrs de cette guerre sans nom est en marche. 

Lorsqu’ils arrivent en haut de la chute, les soldats, dont le commandant français Houtarde, encerclent Jacob Fossi, prêt à à le catapulter dans le vide. «  Mon père aurait dit au commandant Houtarde qu’il a cinq noms d’autres UPCistes à lui donner. Le commandant commence à les écrire mais en se trompant alors mon père se propose de les écrire lui-même. Pour cela, il demande à ce qu’on lui détache les mains. Il prend le stylo puis, tout de suite après, il empoigne Houtarde et l’emporte avec lui dans sa chute. (Leurs corps ne seront jamais retrouvés, ndlr). C’est ainsi que les exactions se sont arrêtées car les colons avaient peur de subir le même sort ».

 

Les femmes n’ont pas le droit de savoir 

 

En 1999, le frère aîné de Louise Mekah l’emmène pour la première fois au bord de la chute de la Metche. Sur place, il fond en larmes sans que Louise Mekah n’en comprenne tout de suite la raison. Son frère savait depuis longtemps – « l’avantage d’être un homme », explique-t-elle - que son père était mort dans cette chute. Louise Mekah aura attendu plus de quarante ans avant de savoir. « J’avais juste appris quelques années plus tôt qu’il était mort dans un fleuve… », s’étonne-t-elle encore aujourd’hui. « Chez nous, les femmes n’ont pas le droit de savoir ». 

Son père exécuté, elle déménage avec sa mère et ses nombreux frères et sœurs en périphérie de Bafoussam, afin d’échapper aux éventuels poursuivants. « Ma mère est morte en 2009. Elle ne m’a jamais parlé de rien. Je pense qu’elle a toujours eu peur des représailles. J’aurais pu échanger sur ces sujets en cachette avec mes frères et sœurs mais encore aurait-il fallu savoir ! ». En 1960, l’indépendance du Cameroun est officiellement proclamée, mais l’UPC poursuit son combat contre les dirigeants camerounais, cette fois, qui ont évincé les historiques du pouvoir. Elle a alors a à peine 7 ans. A Bafoussam, elle voit chaque jour des têtes coupées sur le rond-point du centre-ville ainsi exposées afin d’intimider les autres combattants  de l’UPC clandestine. « Ca ne m’effrayait pas, je ne savais pas que c’était la guerre. Je me souviens même que je m’approchais toujours très près de ces têtes, sans doute pour retrouver le visage de mon père ». Quelques années plus tard, le 15 janvier 1971, Louise Mekah, alors âgée de 18 ans, assiste avec ses camarades de classe à l’exécution en place publique de l’opposant au président Ahmadou Babatoura Ahidjo qui règne sur le Cameroun depuis l’indépendance, Ernest Ouandié dernier leader en vie de l’UPC - là encore, sans bien comprendre ce qui se passe.

 

« Des escrocs sentimentaux » 

 

A 22 ans, en 1975, elle part pour la France, poussée par son frère qui est pharmacien à Toulouse. Mais son intégration va s’avérer beaucoup plus difficile qu’elle ne l’aurait pensé. « Je ne savais même pas pourquoi je venais en France. La bêtise, au Cameroun, c’est que c’est la famille qui choisit pour l’enfant. J’allais donc à l’école sans but », regrette Louise Mekah. Elle échoue à Epernay (à l’Est de Paris). Elle est alors la seule élève noire de son lycée et n’a que très peu de nouvelles de sa famille restée au pays. « Lorsque la surveillante venait distribuer le courrier, j’allais me réfugier dans les toilettes pour pleurer », raconte-t-elle. Elle connaît ses premiers échecs avec les hommes. Elle l’avoue d’ailleurs sans fard : « A cause de ce manque affectif paternel, je n’ai jamais été heureuse avec les hommes. Avec eux, je m’abandonnais alors qu’eux calculaient. Les hommes en ont beaucoup profité. En fait, je n’ai connu que des escrocs sentimentaux ». 

A Epernay, son tuteur, en qui elle accorde toute sa confiance, abusera de cette situation et la violera. Alors qu’elle fuit en auto-stop, elle est prise par un conducteur qui, au lieu de l’amener à la gare comme prévu, l’emmène en forêt. Louise Mekah s’enfuira de la voiture à pied. « Dieu merci, j’ai touché la portière, elle s’est ouverte et j’ai couru ». 
Puis elle épouse un banquier de son pays d’origine, qui l’abandonne, une fois obtenus les papiers pour venir en France. « Faire des enfants, c’est le piège dans lequel beaucoup de femmes tombent. M’occuper de mes enfants ne m’a pas laissé le temps de faire autre chose, d’étudier comme je l’aurai voulu ». Louise vit même quelques mois sans toit avec ses 3 enfants, âgés de 2 à 8 ans. « Une assistance sociale m’avait conseillé d’envoyer mes enfants au Cameroun. Mais Cyrille, Edgard et Florent n’avaient pas demandé à naître. Je ne voyais pas pourquoi je devais tourner le dos à ma charge alors je me suis battue ». Elle parvient à obtenir un logement social puis à scolariser ses enfants aujourd’hui adultes et bien insérés. « Je crois que ma vie les a formés. Ils sont beaucoup plus prudents que moi. Souvent, ce sont eux qui me disent de faire attention ». Les deux aînés sont informaticiens, l’un au Canada, l’autre à Paris. Le troisième est comptable. 

 

L’association FEMRU, son 4e enfant « adoptif » 

ffssssssSourire espiègle aux lèvres, Louise Mekah présente aussi son 4e enfant, « adoptif », celui-là : l’association FEMRU (Femmes et Enfants en Milieu Rural et Urbain) d’Aulnay-sous-Bois qu’elle a créée en avril 2001 et dont elle fut la directrice jusqu’à l’année dernière. Pendant des années, elle est ainsi venue en aide aux personnes en difficulté sociale, familiale ou scolaire, particulièrement les femmes immigrées, souvent analphabètes. Louise Mekah leur faisait connaître leurs droits, permettait leur régularisation administrative. Une aide qu’elle même aurait aimé trouver à son arrivée en France. Cette association a obtenu le Label « dynamique Espoir/Banlieue » en 2009, « une reconnaissance nationale ». Mais au début de l’année 2013, l'association a fermé ses portes, faute de subventions. 

Dès lors, plus rien ne retenait Louise Mekah en France. Elle mène ses nouveaux combats au Cameroun où elle vit désormais : faire ériger une stèle sur la chute de la Metche en hommage aux dizaines de milliers d’indépendantistes morts ; à Bafoussam, faire rebaptiser la rue empruntée par son père le jour de son arrestation en « rue Jacob Fossi » . « C’est de là qu’il est parti et qu’il n’est jamais revenu ». 

 

4 octobre 2012 : La dernière réponse de Simone Veil à Louise Mekah, ministre de la Santé 

en 1974, icône des droits des femmes en France

 

Louise Mekah prévoit aussi de faire le tour des écoles pour briser les tabous. Celui de l’histoire de son pays d’abord, mais aussi ceux qui imprègnent la société camerounaise, le viol, l’inceste... « C’est peut-être utopique mais j’y tiens. Les enseignants doivent faire passer le message. Je veux aider à la prise de conscience du verbe aimer ». 

Depuis la diffusion de son clip musical, sur la chaîne privée camerounaise Canal 2, pour la première fois en août 2012, les gens commencent à parler, à vouloir en savoir plus. Même si les autorités craignent la politisation du message de cette « fille de »…

 

 

 

"Yé Fossi", le clip de Louise Mekah - dite Mouen Fokouinsé - en 2012, qui résume son histoire

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